Note sur l’analyse du cycle de vie et les énergies renouvelables

L’analyse du cycle de vie permet de savoir s'il est pertinent d’intégrer des sources d'énergie renouvelable pour améliorer la performance environnementale, et non seulement énergétique, d’un projet de construction neuve ou de réhabilitation.

Les énergies renouvelables permettent de réduire les impacts environnementaux d’un bâtiment à l’étape d’utilisation, mais des impacts sont générés lors de la production, du renouvellement et de la fin de vie des systèmes (capteurs solaires thermiques ou photovoltaïques par exemple). Est-il alors pertinent d’intégrer ces systèmes pour améliorer la performance environnementale d’un projet de construction neuve ou de réhabilitation ?

L’analyse de cycle de vie permet de répondre à cette question en effectuant un bilan global sur l’ensemble des étapes du cycle de vie.

Production d’électricité

Une première approche consiste à évaluer les impacts moyens par kWh d’électricité produit par différentes filières, ce qui permet de comparer les filières renouvelables (hydro-électricité, éolien, photovoltaïque, biogaz) aux productions fossiles et fissiles (charbon, gaz, nucléaire). La figure ci-dessous, issue de la base de données ecoinvent 3.4, montre différents indicateurs en valeur relative par rapport à la valeur maximale (cette valeur inclut d’autres filières comme le fuel, non représentées sur la figure pour plus de lisibilité). Par exemple, ce sont les centrales thermiques au charbon qui émettent le plus de gaz à effet de serre. Les centrales à gaz émettent deux fois moins, et les émissions sont réduites d’un facteur supérieur à 20 avec les productions nucléaire et renouvelables. L’indicateur d’énergie primaire correspond au total renouvelable et non renouvelable.

Comparaison de différentes filières de production d’électricité, base de données ecoinvent

 

Le charbon est la filière la plus impactante sur le climat, mais aussi concernant la santé humaine, l’eutrophisation et les déchets. Ses impacts sont également élevés en termes de consommation d’énergie primaire et d’eau, ainsi que sur la biodiversité. Le biogaz nécessite le plus de sol et d’énergie primaire, ses impacts sur la santé et la biodiversité sont élevés. Le nucléaire génère le plus de déchets radioactifs et consomme le plus d’eau, les indicateurs concernant l’énergie primaire et dans une certaine mesure les ressources sont élevés. C’est le photovoltaïque qui consomme le plus de ressources, ceci étant le silicium est un matériau abondant (Saint-Aubin, 2019) et la donnée ecoinvent intègre encore peu de recyclage. Certaines éoliennes comportent des aimants à base de terres rares, mais selon l’ADEME (2020) une éventuelle tension forte sur les terres rares ne semble pas devoir compromettre le développement de l’éolien, en raison notamment de technologies alternatives pour les générateurs électriques (générateurs asynchrones ou générateurs synchrones sans aimant permanent). Les filières photovoltaïque et éolienne consomment également plus de métaux par kWh mais font actuellement des efforts importants pour atteindre une forte proportion de recyclage en fin de vie : 90 % de la masse des éoliennes est réutilisable ou recyclable, et cette proportion devra passer à 95 % à partir de 2024. Le taux de valorisation des modules photovoltaïques est de 94,7 % selon PV Cycle, qui collecte les panneaux sans frais pour le détenteur. L’utilisation d’énergie et de matériaux nécessaire à la transition énergétique a été étudiée par Hertwich (2014), qui montre que la mise en œuvre à grande échelle des filières photovoltaïque, éolienne et solaire à concentration permet de réduire les impacts environnementaux de la production d’électricité.

La forte croissance du secteur des énergies renouvelables a d’autre part induit, par effet d’échelle et de maturité industrielle, une forte réduction des coûts, et corrélativement des impacts environnementaux cf. la figure ci-dessous issue de Besseau (2019) pour le photovoltaïque et Sacchi et al. (2019) pour l’éolien.

Évaluation de l’empreinte carbone de l’électricité PV et de son évolution suite aux améliorations de l’efficacité du système PV et des procédés utilisés pour sa fabrication (Besseau, 2019).

 

Les valeurs indiquées ci-dessus correspondent à des moyennes, mais lors de l’étude d’un projet urbain, il est plus précis de calculer la production en fonction de données climatiques locales et de prendre en compte le cycle de vie des équipements (fabrication, renouvellement et fin de vie) selon leur mode d’intégration au bâti et le contexte local. Une analyse de cycle de vie dynamique horaire permet par ailleurs d’évaluer la réduction des impacts environnementaux au cours du temps, selon la saison, le jour de la semaine et l’heure de la journée (Roux et al., 2016 et 2017). Certaines énergies renouvelables sont intermittentes, mais la grande fiabilité des prévisions météorologiques permet une bonne gestion du système électronique. 

L’exemple ci-dessous correspond à une maison à énergie positive dans le climat de l’Ile de France (COMEPOS, 2019). Une surface de 30 m2 de modules photovoltaïques en toiture est nécessaire pour que la production équilibre la consommation sur une année. Afin d’évaluer l’intérêt de ce système, une variante sans photovoltaïque a été comparée, en considérant des modules fabriqués en France ou en Chine. L’intégration du photovoltaïque réduit la consommation d’énergie primaire et la quantité de déchets radioactifs générée, sans induire d’augmentation notable sur les autres indicateurs environnementaux. Les impacts sont un peu plus importants dans le cas d’une fabrication chinoise, ce qui est lié à la production de l’électricité nécessaire à la fabrication des modules et au transport.

 

Une production renouvelable préserve les ressources énergétiques et évite de générer des déchets radioactifs qui doivent être stockés durant des dizaines de milliers d’années. L’intégration du photovoltaïque au bâti correspond donc bien au principe de développement durable.

Une partie de l’électricité produite par le système photovoltaïque est exportée vers le réseau. Faut-il la stocker dans des batteries pour la consommer dans le bâtiment lui-même ? Les batteries induisent des impacts environnementaux supplémentaires, et ne sont pas nécessaires sauf dans quelques cas particuliers (site isolé par exemple) : la production excédentaire peut en général être consommée dans des bâtiments voisins (on parle alors d’autoconsommation collective) ou achetée par un agrégateur car la consommation nationale est actuellement toujours supérieure à la production renouvelable. Un stockage mutualisé et optimisé à l’échelle du réseau (par exemple production de gaz à partir d’électricité) est préférable à une multitude de batteries à l’échelle individuelle.

Selon le calcul envisagé pour la règlementation environnementale RE2020, l’énergie exportée est comptabilisée avec un coefficient en énergie primaire réduit pour la production photovoltaïque au-delà de 10 kWhef/m2, ce qui ne correspond pas aux échanges physiques. Un modèle de système électrique élaboré par Roux et al.  (2016 et 2017) et validé par rapport aux données de RTE (réseau de transport d’électricité) montre que sur la durée de vie d’un système PV installé aujourd’hui en métropole (hors zones insulaires isolées du réseau national), l’électricité exportée évite une production conventionnelle. Il n’y a donc pas lieu de modifier le bilan physique en réduisant artificiellement l’équivalence en énergie primaire de l’électricité exportée. Pénaliser l’intégration du photovoltaïque au bâti aboutit à un paradoxe : pour satisfaire les objectifs de la transition énergétique, des hectares de forêts sont rasés pour installer des centrales photovoltaïques au sol, au lieu de profiter de surfaces disponibles en toiture. Etant donné cette pénalisation du photovoltaïque dans la réglementation, certains préconisent de construire des bâtiments sans photovoltaïque puis d’installer des modules par la suite. Cela conduit à additionner les impacts d’une toiture conventionnelle et ceux des modules : le contraire de ce qu’une ACV correctement menée devrait favoriser.

Certaines méthodes n’incluent que la proportion de modules correspondant au pourcentage d’autoconsommation du bâtiment, pour compenser la non prise en compte de l’électricité exportée. Le résultat de ces ACV dépend alors du pourcentage d’autoconsommation, qui lui-même dépend de l’échelle à laquelle l’évaluation est menée. Ce pourcentage est plus élevé à l’échelle d’un territoire sur lequel un dispositif d’autoconsommation collective est mis en place qu’à l’échelle d’un seul bâtiment. La performance environnementale (par exemple les émissions de gaz à effet de serre) d’un bâtiment varient alors d’une échelle à l’autre, ce qui ne correspond pas à une réalité physique puisqu’il s’agit du même bâtiment et du même système photovoltaïque. Considérer que l’électricité exportée évite une production du réseau et les impacts environnementaux correspondants permet une plus grande cohérence car la performance du bâtiment ne dépend plus de l’échelle considérée. Ce choix méthodologique est également cohérent avec le calcul du temps de retour énergétique et environnemental d’un module. D’autre part, l’ensemble des modules photovoltaïques assure le clos et le couvert au niveau de la toiture : il n’y a aucune raison de n’en comptabiliser qu’une partie.

Production de chaleur

De manière assez semblable à la production d’électricité photovoltaïque, un système solaire thermique peut être évalué par analyse de cycle de vie en prenant en compte sa fabrication, son renouvellement, sa fin de vie, et sa production de chaleur calculée par simulation numérique. Le temps de retour énergétique ou en CO2 est en général inférieur à deux ans (Ardente, 2005).

L’usage du bois énergie permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre à condition que la forêt soit gérée durablement, c’est-à-dire sans déforestation. Mais la combustion du bois émet des poussières et des composés organiques volatils nuisibles à la santé. L’usage du bois de chauffage est pour cette raison interdit dans des villes comme Paris. Il convient d’examiner un ensemble d’indicateurs environnementaux et non baser une décision sur un simple bilan carbone. Les indicateurs de « pollution de l’air » et de « pollution de l’eau » de la règlementation RE2020 sous-estiment la toxicité de certaines substances chimiques (d’un facteur 50 000 pour les dioxines, regroupées avec d’autres composés organiques volatils moins toxiques). La réglementation impose aux fabricants de renseigner 168 flux (substances ou groupes de substances) dans la base de données INIES, alors que la base internationale ecoinvent en comporte de l’ordre de 4 000 ce qui permet d’évaluer les impacts sur la santé et la biodiversité de manière plus précise.

Intégration dans un projet urbain

L’intégration de production(s) renouvelable(s) dans un projet urbain doit compléter une démarche de sobriété énergétique (information des usagers sur les comportements vertueux), de conception bioclimatique (isolation thermique, apports solaires passifs) et d’efficacité énergétique (équipements performants pour le chauffage, la climatisation, l’eau chaude sanitaire, l’éclairage et la ventilation).

Dans un quartier dense, le nombre d’étages des bâtiments est trop élevé pour qu’une production solaire en toiture fournisse suffisamment d’énergie et permette d’équilibrer la consommation. Il est alors possible de faire appel à un fournisseur d’électricité renouvelable, et éventuellement à un réseau de chaleur incluant une production renouvelable ou de la géothermie.

Evolution du mix de production des réseaux de chaleur en France – 2030 et 2050 [ADEME, 2018].

La problématique de la production locale d’électricité et de chaleur est semblable à celle de l’alimentation. L’agriculture urbaine ne peut fournir qu’une partie des besoins en nourriture, qui sont majoritairement satisfaits par un territoire plus vaste. Il en est de même des besoins en énergie. Ainsi par exemple la ville de Hambourg a établi un partenariat avec la région voisine du Schleswig-Holstein (Hambourg, 2021) afin d’être approvisionnée à 100 % en électricité renouvelable à l’horizon 2035.

Etant donnée la longue durée de vie des bâtiments et des infrastructures, il convient d’intégrer des scénarios prospectifs concernant l’ensemble des énergies : évolution de la proportion de biogaz et d’hydrogène dans le réseau de gaz, évolution du mix de production d’électricité (Roux et al., 2016b), du mix de génération dans les réseaux de chaleur.

Pour aller plus loin
Publications scientifiques
Article dans une revue
Charlotte Roux, Patrick Schalbart, Bruno Peuportier Development of an electricity system model allowing dynamic and marginal approaches in LCA—tested in the French context of space heating in buildings
International Journal of Life Cycle Assessment, 2017, 22 (8), pp.1177 - 1190. ⟨10.1007/s11367-016-1229-z⟩
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Article dans une revue
Charlotte Roux, Patrick Schalbart, Bruno Peuportier Accounting for temporal variation of electricity production and consumption in the LCA of an energy-efficient house
Journal of Cleaner Production, 2016, 113, pp.532-540. ⟨10.1016/j.jclepro.2015.11.052⟩
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Chercheur
Bruno Peuportier
Directeur de recherche
MINES ParisTech
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Ce logiciel d’analyse du cycle de vie des projets de quartier, évalue les impacts environnementaux depuis la fabrication des matériaux jusqu’à la fin de vie.
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