Note sur l’analyse de cycle de vie et la santé

Dans la conception du bâtiment, la qualité de l'air intérieur est un critère essentiel à prendre en compte ainsi que d’autres aspects importants pour la santé des occupants comme le comportement thermique lors de canicules, la qualité de l’eau ou la maîtrise des expositions au bruit ou aux champs électromagnétiques...

Les effets d’un projet urbain sur la santé se situent à différentes échelles. A l’échelle d’un bâtiment, la qualité de l’air intérieur a le plus d’influence sur la santé de ses occupants mais d’autres aspects peuvent être importants comme le comportement thermique lors de canicules, la qualité de l’eau ou la maîtrise des expositions au bruit, aux champs électromagnétiques et à divers risques (Déoux, 2004). Les décideurs impliqués dans un projet immobilier peuvent ainsi agir directement et indirectement pour préserver la santé : directement au niveau de la qualité de l’air intérieur et de la réduction des risques de surchauffe dans les bâtiments, et indirectement en comparant différentes possibilités à l’aune de l’Analyse du cycle de vie.

Les surchauffes lors de périodes de canicule peuvent être évaluées par la simulation thermique dynamique, par exemple avec l’outil Pleiades STD Comfie développé par le lab recherche environnement en collaboration avec l’éditeur IZUBA Energies. En ce qui concerne la qualité de l’air, la plate-forme logicielle Pleiades comporte un lien vers l’outil INDALO développé par Octopus Lab (Mendez, 2015 ; 2016a ; 2016b).

A l’échelle du quartier et de la ville, la qualité de l’air et le niveau sonore sont également des facteurs influents sur la santé. Ces aspects sont considérés comme liés aux transports, bien que les mesures de qualité de l’air en période de confinement n’aient pas fait apparaître d’amélioration majeure alors que le trafic était très réduit par rapport aux années antérieures. Il existe donc de multiples facteurs pouvant influencer la pollution de l’air, en interaction avec un territoire régional plus étendu.

D’autre part, des impacts sont générés ailleurs que sur le territoire du projet étudié : lors de la fabrication et du transport des produits de construction, de la production d’énergie et d’eau, du traitement de l’eau et des déchets… C’est pourquoi l’analyse de cycle de vie est également utilisée. La méthode mise en œuvre dans l’outil Pleiades ACV Equer prend en compte les aspects de changement climatique, de destruction de la couche d’ozone, de production d’ozone photochimique, de radiation ionisante, d’effets respiratoires (liés aux particules fines par exemple), la disponibilité en eau, les effets cancérigènes et non-cancérigènes (Bulle et al., 2019) (Huijbregts et al., 2017). Ces aspects contribuent de manière directe (par exemple les effets respiratoires) ou indirecte (les maladies vectorielles induites par le changement climatique) aux dommages sur la santé.

Des outils à différentes échelles sont ainsi complémentaires et intégrés à la démarche d’écoconception proposée par le lab recherche environnement.

Ainsi l’évaluation des impacts sur la santé humaine liée à la toxicité des substances émises (e.g. dioxines, métaux lourds, pesticides, etc.) comporte plusieurs étapes en ACV (Fantke et al., 2017) :

  • La quantification des émissions de polluants dans différents compartiments écologiques (air, eau douce, eau de mer, sédiments, sol naturel, agricole etc.) ;
  • La prise en compte de phénomènes de (bio-)dégradation des substances : hydrolyse, photolyse dans l’eau, réactions photochimiques dans l’atmosphère, biodégradation dans l’eau, les sédiments et le sol ;
  • La prise en compte du transport des polluants : diffusion (air, eau), absorption et volatilisation (air/eau ou sol), adsorption et désorption (air et sol), déposition sèche (air et sol) et humide (pluie et sol), sédimentation et re-suspension (sédiments et eau), écoulement des eaux, érosion (sol et eau) ;
  • L’évaluation des concentrations de polluants dans les compartiments écologiques,
  • L’évaluation de l’exposition des personnes, exposition directe liée à l’inhalation et à l’ingestion d’eau, et indirecte liée à la consommation de produits agricoles,
  • L’évaluation de dommages sur la santé, intégrant des effets cancérogènes et non cancérogènes.

Par ailleurs, deux polluants dans l’air sont particulièrement importants et sont évalués en ACV par des modèles propres. Il s’agit d’une part des poussières, particules fines dont le diamètre est de l’ordre de quelques microns (à titre d’ordre de grandeur, les pollens sont d’une taille variant entre 10 et 100 µm). Les poussières sont en général constituées par un noyau de carbone sur lequel des hydrocarbures peuvent être adsorbés. Ces particules fines peuvent ainsi véhiculer des composés chimiques (phtalates, pesticides, métaux lourds) ou des agents pathogènes (virus, bactéries) potentiellement dangereux pour la santé. Les particules de diamètre supérieur à 10 µm sont arrêtées au niveau de l’appareil respiratoire supérieur. Entre 3 et 10 µm, elles atteignent les bronches et bronchioles. Seules les particules de taille inférieure à 3 µm pénètrent dans les alvéoles des poumons. Certains composés peuvent avoir des effets cancérogènes sur les poumons, mais les principales conséquences concernent les maladies respiratoires. L’augmentation de la mortalité est reliée à l’accroissement de la concentration en PM10 (concentration en µg/m3 des particules de taille inférieure à 10 µm), et surtout en PM2,5 (concentration en µg/m3 des particules de taille inférieure à 2,5 µm). La concentration des matières solides dans l’air varie entre 0,05 et 0,5 mg/m3 en milieu rural, et entre 0,1 et 1 mg/m3 en milieu urbain. Les résultats d’une étude épidémiologique menée par Santé publique France (Corso, 2015) montrent qu’une augmentation de 10 µg/m3 des niveaux de PM10 du jour et des cinq jours précédents se traduit par une augmentation de 0,5% de la mortalité non accidentelle. L’excès de risque est plus élevé chez les personnes de 75 ans et plus (+1,04%) et les effets sur la mortalité sont plus importants en été. Une exposition à plus long terme peut induire des effets sanitaires bien plus importants liés au développement de maladies cardiovasculaires, de maladies respiratoires et du cancer du poumon (Medina, 2016).

Un autre polluant important est l’ozone, produit dans la troposphère (basse atmosphère, d’altitude inférieure à 10 km) par la réaction des oxydes d’azote et des composés organiques volatils sous l’effet des rayons ultra-violets (d’où l’indicateur ACV de production d’ozone photochimique), et également au voisinage des lignes à haute tension. La concentration « naturelle » de l’ozone est de 40 à 100 µg/m3. La valeur cible définie dans la directive européenne 2008/50/CE est de 120 µg/m3. L’ozone peut provoquer des problèmes respiratoires : déclenchement de crises d’asthme, diminution de la fonction pulmonaire et apparition de maladies respiratoires (Bell, 2004). Des liens sont observés sur le long terme (Jerret, 2009) avec la mortalité respiratoire et cardio-respiratoire, notamment pour des sujets prédisposés par des maladies chroniques (pulmonaires, cardiaques, diabète).

D’autres phénomènes sont par ailleurs pris en compte par l’ACV. Le changement climatique induit un certain nombre de risques sur la santé, en termes de conséquences de phénomènes climatiques (tempêtes, inondations, vagues de chaleur…) et d’émergence ou réémergence de maladies infectieuses (en particulier le paludisme et la dengue). La couche d’ozone (entre 12 et 45 km d’altitude, avec un maximum de concentration à 25 km) filtre la presque totalité des rayons ultraviolets de type B, qui provoquent des atteintes de la peau (cancer), des yeux (cataracte) et du système immunitaire.  La convention de Vienne (1985), le protocole de Montréal (16 septembre 1987) puis la convention de Londres (1990) ont conduit 70 pays à ratifier la suppression totale des CFC (chlorofluorocarbures) avant l’an 2000. Leur utilisation est interdite en France depuis 1996. Les HCFC (hydrochlorofluorocarbures) sont interdits dans les pays industrialisés et le seront en 2032 dans les pays en développement. Si la couche d’ozone se rétablit progressivement en Antarctique, il convient de rester vigilant : une augmentation des émissions de CFC-11 a été constatée depuis 2012 en Asie ; les GES affectent la chimie atmosphérique créant un lien entre couche d’ozone et changement climatique (WMO 2018). La raréfaction des ressources en eau peut également avoir des conséquences sanitaires importantes dans certains pays. D’autres phénomènes comme les radiations ionisantes ont aussi un impact sur la santé.

Afin d’évaluer les indicateurs d’ACV concernant la santé, il convient de disposer d’inventaires suffisamment complets. L’outil Pleiades ACV EQUER utilise la base de données Ecoinvent, comportant plusieurs milliers de flux alors que la base Inies n’en impose que 168. Par exemple dans les FDES (fiches de déclaration environnementale et sanitaire) de la base Inies, les dioxines sont regroupées dans un ensemble de composés organiques volatils en considérant un impact moyen, ce qui sous-estime leur toxicité de manière très importante. D’autre part, les indicateurs de pollution de l’air et de l’eau des FDES sont basés sur la méthode des volumes critiques, remise en cause par les scientifiques car elle ne prend pas en compte l’évolution des polluants dans le temps (transport et dégradation).

L’ACV, basée sur la quantification de dommages très moyennés et variant linéairement en fonction des quantités de polluants émis, est moins précise que les études locales menées par les spécialistes en santé environnementale. Elle permet cependant de prendre en compte des aspects essentiels pouvant menacer la santé, en particulier le changement climatique, les émissions de substances toxiques et de particules fines, et la production d’ozone photochimique.

Les impacts locaux ont jusqu’à présent été évalués par des indicateurs spécifiques (concentration en polluants et indices de qualité de l’air, niveau sonore, températures maximales ou nombre d’heures d’inconfort…) mais certains travaux récents étudient la possibilité d’évaluer un indicateur commun à l’ACV. Il s’agit des années de vie en bonne santé perdues (ou gagnées), indicateur nommé Daly (disability-adjusted life years)  élaboré par l’Organisation Mondiale de la Santé (WHO, 2013 ; 2021). Ainsi, la qualité de l’air peut être évaluée en complétant le calcul des concentrations en polluants par une évaluation de l’exposition et des risques sanitaires, aboutissant à un indicateur de performance en Daly (Micolier, 2019). De même, BruitParif a évalué les impacts sanitaires du bruit des transports dans la zone dense de la Région Ile-de-France en utilisant ce même indicateur (Bruitparif, 2019), tandis que plusieurs études ont cherché à inclure les dommages sur la santé humaine liés au bruit dans les indicateurs de l’analyse de cycle de vie (Cucurachi, 2012 ; Meyer, 2019 ; de Bortoli 2018). Le développement de ce type d’approche se poursuit dans le cadre du lab recherche environnement.

 

Pour aller plus loin
Publications scientifiques
Thèse
Alice Micolier Development of a methodology for a consistent and integrated evaluation of the health, energy and environmental performance of residential building design solutions, Développement d’une méthodologie d’évaluation cohérente et intégrée de l’impact des choix de conception sur la qualité de l’air intérieur et les performances énergétiques et environnementales des bâtiments résidentiels
Mechanics [physics]. Université de Bordeaux, 2019. English. ⟨NNT : 2019BORD0380⟩
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