Photovoltaïque : les solutions pour optimiser le bilan carbone et environnemental

Une énergie propre, verte, décarbonée… Le photovoltaïque permet de réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment ou d’autres infrastructures en phase d’exploitation, mais comment prendre en compte les impacts générés lors la production, du renouvellement et de la fin de vie des systèmes ? Interview croisée avec Romain Besseau (Mines Paris PSL) et Pauline Grougnet (ActivSkeen).

Les récents progrès techniques de l’industrie du photovoltaïque, mais aussi la disponibilité de données et d’outils d’évaluation de plus en plus fiables offrent des réponses aux questions sur la pertinence du photovoltaïque dans un projet qui vise à réduire son empreinte écologique. Nous avons rencontré Romain Besseau, chercheur aux Mines à Sophia Antipolis, et Pauline Grougnet, directrice d’ActivSkeen, bureau d’étude dédié à l’enveloppe photovoltaïque, pour en savoir plus sur l’évolution du marché du photovoltaïque et les solutions existantes pour assurer un bilan carbone très faible et éviter d’autres impacts environnementaux.

Quelles sont les tendances de marché du photovoltaïque et du photovoltaïque intégré au bâtiment (BIPV) et les perspectives d’évolution technologique ? 

Romain Besseau : À l’échelle mondiale et jusqu’à présent, la filière photovoltaïque (PV) connaît une croissance exponentielle. La capacité installée augmente évidemment d’une année sur l’autre, mais on observe également un accroissement de cette hausse de la capacité installée d’une année sur l’autre.

À l’échelle de la France métropolitaine, les scénarios envisagés lors des travaux récemment présentés par RTE, l’entreprise chargée du transport d’électricité en France, considèrent tous une augmentation significative de la production d’énergie photovoltaïque. Cela va de 70 GWc de puissance installée à horizon 2050, soit une multiplication par 7 par rapport à 2018 dans un scénario avec un fort renouvellement du parc électronucléaire, à plus de 200 GWc ce qui correspond à une multiplication par 22 de la puissance installée dans un scénario sans nouveau nucléaire et une faible prolongation du parc électronucléaire existant. Quelle que soit la décision qui sera prise, cela confirme que la filière photovoltaïque aura son rôle à jouer dans l’avenir énergétique en France métropolitaine. Ce rôle sera encore plus important dans les territoires d’outre-mer.

Enfin, il est à noter le développement de l’autoconsommation d’énergie PV, notamment permis par la baisse des coûts de production d’énergie PV. Il est de plus en plus fréquemment rentable de consommer l’énergie PV pouvant être produite localement plutôt que l’électricité issue du réseau. Une telle autoconsommation à l’échelle individuelle ou collective permet de répondre à une partie des besoins, qui sera d’autant plus importante que la consommation sera en adéquation temporelle avec la production PV et donc l’ensoleillement.

 

Pauline Grougnet : L’écosystème du photovoltaïque est effectivement très dynamique, porté par des réglementations de plus en plus exigeantes, des acteurs et des citoyens engagés et une offre très variée d’applications et de services.

En France, les grandes centrales solaires au sol tirent vers le haut le marché du photovoltaïque, mais les pratiques et la recherche de fonciers évoluent. En effet, la reconversion d’anciens sites, démilitarisés, industriels ou pollués, est aussi privilégiée. Un exemple marquant est la mise en service d’une centrale de 15MWc en octobre 2020 sur l’ancien site de l’usine « AZF ».

Les centrales vont aussi se déployer massivement sur les toitures de bâtiment, portées par la loi Climat et Résilience qui impose que, dès le 1er janvier 2023, les nouveaux bâtiments commerciaux, artisanaux, industriels, entrepôts et hangars de plus de 500 m2, et les bâtiments de bureaux de plus de 1000 m2 devront végétaliser ou solariser 30 % de leur surface.

Cette même loi impacte les ombrières photovoltaïques de parking installées sur tout nouveau parc de stationnement construit à partir du 1er janvier 2024 et qui concernera 100% de leur surface.

D’autres manières d’installer de grandes capacités de production sont également ciblées par les grands producteurs et fournisseurs d’énergie (Akuo Energy, EDF, TotalEnergies…) comme l’agrivoltaïsme et le PV flottant.

Dans une moindre mesure, le photovoltaïque intégré au bâtiment ou BIPV [1]émerge de manière plus au moins rapide au sein des pays de l’Union européenne. La Suisse, l’Allemagne et l’Autriche disposent de nombreuses références, mais l’autoconsommation, la mobilité électrique des occupants et citoyens et encore le nouvel arrêté tarifaire du 8 octobre 2021 devraient contribuer à son développement massif en France.

Au niveau des technologies, on observe sur le marché des nouveaux formats de cellules silicium. Pour l’instant, la taille définitive ne fait pas consensus dans la profession, mais la cellule de 158mm sera abandonnée pour des tailles de 161mm, 182mm voire 210mm ! Mais face au contexte actuel de difficultés d’approvisionnement, notamment en matériaux semi-conducteurs, les industriels réfléchissent à des solutions alternatives pour créer des cellules et matériaux photovoltaïques comme les films organiques par exemple.

Enfin, à tout cela se superposent de multiples offres de services : les PPA (Power Purchase Agreements), le tiers financement, les coopératives d’électricité verte et citoyenne, la location de modules photovoltaïques pour particuliers, etc.

 

Le photovoltaïque soulève des questionnements sur son empreinte carbone. Quelles solutions sont-elles portées par la recherche et par l’entreprise pour assurer un bilan carbone positif ? 

 

Romain Besseau : La question de l’empreinte carbone du PV mérite d’être posée et sérieusement étudiée. S’il est vrai qu’une fois installé un système PV n’engendre aucune émission de gaz à effet de serre (GES), les panneaux PV ne poussent pas dans les arbres : il faut de l’énergie et des matériaux pour produire les composants d’une installation PV ce qui engendre indirectement des émissions de GES. Ainsi, l’estimation de l’empreinte carbone de la filière se doit de considérer les émissions ayant lieu de l’extraction des matières premières à la fin de vie du système. On utilise pour cela une méthode appelée Analyse de Cycle de Vie (ACV). De nombreuses ACV de la filière photovoltaïque conduisent à des estimations de l’empreinte carbone allant de 40 à 100 gCO2eq/kWh. À titre de référence l’empreinte carbone du mix électrique européen est de l’ordre de 400 gCO2eq/kWh.

Il se trouve que les estimations de l’empreinte carbone du PV reposent sur des données anciennes qui conduisent à une surestimation de l’empreinte carbone de la filière. En effet, j’ai pu montrer dans le cadre de mes travaux de recherche que les données considérées pour l’ACV correspondent à la performance de la filière PV en 2005, ce qui est problématique quand on connaît les progrès accomplis par la filière PV depuis cette époque correspondant au début de la filière. J’ai développé un modèle paramétré qui permet de tenir compte de l’amélioration du rendement des modules PV, de la réduction de la masse des composants tels que les onduleurs, de l’efficacité des procédés de raffinage du silicium et production de cellules PV, et qui montre comment cela conduit à une division par 2 ou 3 de l’empreinte carbone de la filière PV. Les leviers pour la réduire davantage sont de poursuivre l’amélioration des rendements des panneaux, et de l’efficacité des procédés de production des cellules en silicium cristallin, ainsi que le recours à une électricité la plus décarbonée possible pour la production de ces cellules qui reste énergivore bien que beaucoup moins que par le passé.

 

Pauline Grougnet : On peut aller plus loin dans la réduction de cette empreinte en cherchant à intégrer le photovoltaïque comme un élément fonctionnel de l’enveloppe du bâtiment et non plus comme un ajout, un complément qui n’a que comme seule utilité, la production d’énergie. Cette approche d’enveloppe photovoltaïque permet de mutualiser les moyens (i.e. les systèmes d’intégration) et d’exploiter des surfaces et applications que l’on avait prévu de construire, actives ou non !

 

Quels points de vigilance sont-ils à prendre en compte en ce qui concerne des impacts environnementaux autres que le carbone ?

 

Romain Besseau : Les émissions de GES sont loin d’être la seule problématique environnementale à considérer. L’ACV permet d’étudier aussi bien l’impact sur le changement climatique, que les impacts sur les écosystèmes, la santé humaine ou bien les ressources au sens large : qu’il s’agisse de terre, d’eau ou de minéraux.

Nous avons vu précédemment que l’empreinte carbone du PV est faible sur son cycle de vie. Le PV va engendrer des impacts sur les écosystèmes et la santé humaine notamment lors de l’extraction des matières premières, des phase de raffinage et de production de modules PV.

Il existe beaucoup d’idées reçues à propos de l’utilisation de terres rares dans les panneaux PV. L’écrasante majorité du marché repose sur des cellules en silicium et cette technologie ne nécessite aucune terre rare. Certaines technologies spécifiques utilisent des terres rares, mais correspondent à des applications ultras spécifiques comme l’industrie spatiale qui utilise des panneaux multicouches. La filière PV reste néanmoins mobilisatrice de ressources minérales comme le cuivre pour la production de câble, des onduleurs, ou bien d’acier et d’aluminium pour les supports de modules PV. C’est pourquoi il est nécessaire de recycler efficacement ces systèmes.

La filière PV peut avoir une empreinte spatiale importante lors qu’elle est installée au sol. Cependant, le potentiel en toiture de bâtiment est loin d’être épuisé, ce qui est encore plus vrai avec les façades de bâtiments. Il apparaît important de privilégier l’installation de systèmes PV sur des surfaces déjà artificialisés.  Enfin, des réflexions et expérimentations sont en cours afin de développer des co-usages entre la production d’électricité PV et l’agriculture. 

Un aspect qui mérite d’être évoqué et évalué sont les impacts potentiellement induits par la météo-dépendance de la production PV, des moyens de stockage peuvent alors devenir nécessaires pour répondre à la consommation ce qui rajoute une couche d’impacts environnementaux.

 

Pauline Grougnet : Grâce à cette approche d’enveloppe photovoltaïque, le photovoltaïque présente aussi des externalités positives, parfois méconnues ! Bien sûr le premier intérêt est qu’en exploitant des surfaces complémentaires à la toiture, on augmente la puissance installée de l’installation photovoltaïque, contribuant ainsi à la réalisation de bâtiments à énergie positive et sans pour autant recourir à des emprises foncières supplémentaires. Ensuite, les solutions existantes et proposées par les industriels du BIPV présentent une grande variété de rendus esthétiques pour s’adapter au milieu environnant, notamment lorsque l’intégration esthétique et paysagère est primordiale sur et à proximité de sites protégés. Enfin, dans des applications semi-transparentes, les solutions photovoltaïques permettent d’améliorer le confort des occupants et de réduire les besoins énergétiques. Judicieusement positionnées dans un mur rideau, une double peau ou une verrière, les cellules photovoltaïques vont non seulement produire de l’électricité, mais aussi agir comme des milliers de mini brise-soleil. D’une part, les solutions vont laisser pénétrer la lumière naturelle, tout en maîtrisant l’éblouissement et la chaleur transmise, pour un meilleur confort des occupants. D’autre part, en optimisant le calepinage des cellules, ce sont typiquement de 20% à 25% des charges de climatisation qui peuvent être réduites sous une verrière.

 

Quels sont les bénéfices d’un dialogue entre recherche et entreprise et quelle pourrait être la suite de ces échanges ?

 

Romain Besseau : Ayant eu la chance de travailler dans le secteur du photovoltaïque avant de faire de la recherche, j’avais une connaissance approfondie de la filière qui m’a permis de m’apercevoir de l’obsolescence des données utilisées pour l’évaluation de l’empreinte carbone de la filière. Sans cette connaissance, je n’aurai probablement pas remis en question la représentativité de ces données et les aurait utilisées telles quelles. Le renforcement d’un dialogue entre recherche et entreprise permet d’éviter des situations de ce type. Enfin, la recherche a également besoin de financement pour fonctionner, et elle peut apporter son expertise au monde de l’entreprise et être source de création de valeur par la prise de décisions éclairées.

 

Pauline Grougnet : Il est primordial que la recherche et l’entreprise continuent de dialoguer. Pour la recherche, il est vital qu’elle soit connectée au marché, aux pratiques, à la « vraie vie » des projets et des utilisateurs/ consommateurs des études et résultats. En étant adossé à la recherche, l’entreprise reste au fait des techniques et technologies qui pourraient arriver et ainsi anticiper des changements dans ses pratiques, méthodes et son organisation pour ne pas les subir et rester concurrentielle. Si elle n’a pas le temps et/ou les moyens pour le faire, l’entreprise, notamment pour des bureaux d’études comme ActivSkeen, a tout intérêt à mobiliser des chercheurs ou plus largement des structures comme le lab recherche environnement pour mettre à jour ses bases de données, explorer des études de cas, développer des outils de simulation…cela lui permet de gagner du temps, mais également de gagner en robustesse dans l’accompagnement technique qu’elle peut proposer par la suite à ses clients, souvent non-sachants. Grâce aux travaux de Romain, mais surtout grâce à leur diffusion et vulgarisation, ActivSkeen a pu mettre à jour ses données et ses méthodes pour évaluer l’empreinte carbone des systèmes photovoltaïques que nous dimensionnons et prescrivons tous les jours. Les suites de cet échange sont nombreuses, mais élargir le scope de l’analyse de l’empreinte environnementale en considérant les systèmes d’intégration et les usages de l’énergie serait intéressant à pousser.

 

[1] Définition du BIPV (Building Integrated Photovoltaics) : Remplacer les matériaux traditionnels utilisés dans l’enveloppe du bâtiment par des matériaux photovoltaïques assurant strictement la même fonction que celle remplacée.

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