Note : l’analyse de cycle de vie dynamique décryptée

Une approche dynamique « simplifiée » a été proposée dans le cadre de la RE 2020. Cette évolution méthodologique ouvre le débat sur les limites de l’ACV statique pouvant être surmontées à travers une approche dynamique, la faisabilité opérationnelle d’une telle approche et sa cohérence par rapport à l’objectif de neutralité carbone de la construction neuve d’ici 2050. Afin d’alimenter ce débat, les chercheurs du lab recherche environnement VINCI ParisTech ont préparé la synthèse suivante sur l’état de l’art de la recherche dans le domaine de l’ACV dynamique du bâtiment et des outils d’évaluation existants.

La pratique courante dans le domaine du bâtiment consiste à évaluer des impacts sur une durée d’analyse sans tenir compte de la variation temporelle de ces impacts : consommer 3000 kWh par an génère les mêmes impacts l’année 1 que l’année n, et peu importe que cette énergie soit consommée l’hiver ou l’été, en semaine ou en week-end, le jour ou la nuit. Cela correspond à une ACV statique. L’ACV dynamique prend en compte des variations temporelles à plusieurs niveaux.

1. Au niveau des processus ayant lieu dans le système étudié

Les processus liés aux consommations d’énergie et d’eau sont fortement variables, en fonction des usages des bâtiments (logements, bureaux…). Simplifier le calcul du bilan environnemental en considérant une consommation annuelle pour l’eau n’entraîne pas d’erreur importante car les techniques de production d’eau potable et de traitement des eaux usées sont peu variables dans le temps (et la consommation d’eau est peu différente par temps pluvieux ou sec). Il n’en est pas de même pour l’électricité, dont le mix de production varie de manière importante (cf. les données de RTE, Réseau de Transport de l’Electricité). Un modèle dynamique, par exemple à pas de temps horaire, permet d’améliorer fortement la précision du calcul : la différence entre ACV statique et dynamique peut atteindre 40% (Roux et al., 2016a).

Au-delà de ces variations sur une journée, une semaine ou une année, il existe aussi des variations sur le long terme (plusieurs dizaines d’années) liées à la transition énergétique (Roux et al., 2016b). Il est ainsi prévu de modifier le mix de production de l’électricité en augmentant la part des énergies renouvelables. C’est aussi le cas pour le gaz. Le changement climatique induit par ailleurs une modification des besoins de climatisation, voire de chauffage.

Pour ne pas trop alourdir les calculs, certaines hypothèses simplificatrices peuvent être considérées. Par exemple savoir si un produit a été fabriqué 6 mois ou un an avant le chantier ne semble pas avoir une importance considérable sur les résultats de l’ACV.

Le traitement des déchets après la longue durée de vie d’un bâtiment ne sera sans doute pas le même qu’aujourd’hui, ce qui peut donner lieu à la comparaison de scénarios, dans le cadre d’une analyse de sensibilité, ou à un calcul d’incertitude. En règle générale, les processus ayant lieu dans un futur éloigné sont plus incertains. En ce qui concerne ces procédés futurs, le principe de précaution peut consister à ne pas prendre en compte d’éventuelles améliorations conduisant à des réductions d’impacts car elles ne sont que supposées et pas certaines. Cela conduit alors à considérer un majorant des impacts (par exemple les impacts des procédés présents) en supposant que la performance environnementale des procédés sera améliorée dans le futur.

2. Au niveau de l’inventaire de cycle de vie

La variation des processus induit une variation de l’inventaire de cycle de vie (cf. données RTE sur le émissions de CO2 par kwh produit en France).

Evaluer un inventaire heure par heure rendrait le calcul beaucoup plus lourd, et ne se justifie que si les facteurs de caractérisation (utilisés pour passer des émissions aux impacts) varient fortement dans le temps. Ça peut être le cas pour les émissions de composés organiques volatils, qui se décomposent selon l’ensoleillement pour former de l’ozone nuisible à la santé. En général, les émissions ne varient cependant pas en fonction de l’ensoleillement, donc considérer une moyenne annuelle peut s’avérer suffisant dans la plupart des cas. Le chauffage au bois induit davantage d’émissions en hiver, donc avec un ensoleillement plus faible, ce qui pourrait donner lieu à une analyse plus précise si des données existent en ce qui concerne la variation des facteurs de caractérisation selon l’ensoleillement.

3. Au niveau des indicateurs d’impact

Certains phénomènes physico-chimiques comme la décomposition de certaines substances dans les milieux (air, eau, sols) peuvent varier au cours du temps en fonction de conditions climatiques. C’est le cas mentionné précédemment de la formation d’ozone photochimique. Il serait envisageable de calculer les impacts heure par heure en fonction de l’ensoleillement (sur une année climatique type par exemple). Cela nécessite une modélisation des facteurs de caractérisation, donc des travaux de recherche supplémentaires.

En ce qui concerne le réchauffement climatique, l’usage des indicateurs tel que préconisé par le GIEC ne tient pas compte d’une potentielle variation de l’impact selon la date de l’émission. Certaines méthodes exploratoires considèrent un taux d’actualisation comme en économie (un kg de CO2 émis aujourd’hui vaut davantage qu’un kg émis dans 50 ans) ou ne comptabilisent plus les impacts au-delà d’un horizon fixe (par exemple 100 ans). Ce type d’approche est très discutable et ne fait pas consensus dans la communauté scientifique : elles donnent moins d’importance aux impacts touchant les générations futures, ce qui ne correspond pas au principe du développement durable. Ne pas comptabiliser les impacts au-delà de 100 ans[1] ne revient-il pas à laisser une « dette environnementale » aux générations suivantes ? Il s’agit d’un choix politique, qui ne peut pas être justifié par la connaissance scientifique.

[1] Les indicateurs développés par le GIEC considèrent un horizon glissant, par exemple 100 ans pour le potentiel de réchauffement global GWP100.  L’effet d’une émission est intégré sur les 100 années suivantes, quelle que soit la date de cette émission, et non uniquement sur un horizon fixe de 100 ans à partir de la date de construction d’un bâtiment. En considérant cet horizon fixe, l’effet d’une émission ayant lieu 50 ans après la construction n’est intégré que sur les 50 années suivantes au lieu de 100 ans, ce qui sous-estime l’impact sur les générations suivantes.

Exemples de comparaison entre ACV dynamique réglementaire et ACV dynamique physique

  • Augmentation de 5 cm de laine de verre sur un mur en parpaings (isolation par l’intérieur et plaque de plâtre)

L’augmentation de 5 cm d’épaisseur représente sur un m2 environ 600 g de laine de verre, dont la production, le transport et la mise en œuvre génère environ 0.82 kg de CO2 à l’année 0 du cycle de vie.

En passant de 15 cm à 20 cm d’épaisseur, la réduction des besoins de chauffage annuels est de l’ordre de 2 kWh par m2 de mur sur une maison individuelle type en Ile de France. En considérant un chauffage par pompe à chaleur (le système le plus courant en RT 2012 et sans doute aussi en RE2020), la réduction de consommation d’électricité correspondante est de l’ordre de 0.8 kWh (par an). La réduction d’émission de gaz à effet de serre est de 200 g CO2 par kWh électrique économisé avec le modèle dynamique physique (usage chauffage, donc recours accru à des moyens plus carbonés en pointe) et 79 g CO2/kWh avec le calcul réglementaire la première année. Cette quantité décroit au fur et à mesure des années selon l’indicateur « dynamique » réglementaire, alors qu’elle reste constante dans l’ACV physique (l’effet sur le réchauffement climatique ne dépend pas de la date d’émission).

Le résultat est présenté sur le graphe suivant.

figure Note ACV Dynamique 1

L’émission de CO2 initiale est progressivement compensée par l’économie d’énergie apportée par l’isolation thermique. Mais d’après le calcul réglementaire, il faut 15 ans pour atteindre la compensation alors que ce temps de retour carbone n’est que de 5 ans avec le calcul plus physique. Au final sur les 50 ans, l’isolant aura permis de réduire 7 fois plus les émissions que la quantité émise pour sa production d’après le calcul physique, contre seulement 1.5 fois plus avec le calcul réglementaire.

  • Comparaison entre double vitrage et triple vitrage

La production d’un m2 de fenêtre génère environ 11 kg CO2 de plus pour un triple vitrage par rapport à un double vitrage, mais le triple vitrage (supposé dans cet exemple mis en œuvre sur la façade nord d’une maison individuelle type en Ile de France) réduit les besoins de chauffage d’environ 15 kWh et la consommation d’environ 6 kWh (en considérant une pompe à chaleur). Le bilan du triple vitrage par rapport au double vitrage est alors le suivant d’après les deux méthodes (les impacts liés au remplacement de la fenêtre au bout de 30 ans sont comptabilisés).

figure Note ACV Dynamique 2

Si une durée de vie de 30 ans est considérée pour la fenêtre[2], alors le triple vitrage n’a pas d’intérêt d’après le calcul réglementaire puisqu’il conduit globalement à des émissions plus élevées sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment. Le calcul physique montre au contraire que le triple vitrage est « rentabilisé » en moins de 10 ans, et que la réduction d’émissions sur le cycle de vie est environ 4 fois la quantité émise initialement.

Dans les deux cas (épaisseur d’isolation et choix du vitrage), le calcul réglementaire déplace l’optimum écologique vers une moindre performance énergétique par rapport au calcul physique. L’ACV dynamique physique tient compte de l’augmentation des impacts de la consommation d’électricité en saison froide (production plus carbonée en période de pointe), alors que l’ACV « dynamique » réglementaire les diminue au cours des années (le réchauffement climatique n’est plus pris en compte au-delà de 100 ans). Du fait de cette diminution des impacts, le calcul réglementaire valorise moins les technologies économes en énergie ou la production renouvelable locale.

[2] Valeur considérée dans la base de données réglementaire et dans l’ACV physique.

En résumé

De même qu’une simulation thermique dynamique peut être utilisée en complément de l’approche réglementaire, une ACV peut être effectuée sur une base plus physique afin d’aider à la conception des projets. L’ACV dynamique physique mise en œuvre dans l’outil Pleiades ACV EQUER prend en compte des variations temporelles au niveau des consommations énergétiques, des procédés de production d’électricité et des impacts environnementaux associés (variations saisonnière, hebdomadaire et horaire, scénarios prospectifs sur le long terme).

Références bibliographiques

Roux C., Schalbart P. and Peuportier B., 2016a. Accounting for temporal variation of electricity production and consumption in the LCA of an energy-efficient house, Journal of Cleaner Production 113 (2016) 532-540

Roux C., Schalbart P., Assoumou E. and Peuportier B., 2016b. Integrating climate change and energy mix scenarios in LCA of buildings and districts, Applied Energy 184 (2016), pp. 619-629

Peuportier B., Les matériaux et l’exploitation, deux leviers indissociables pour réduire l’empreinte carbone du bâtiment (www.lab-recherche-environnement.org)

Sujets associés
Analyse de cycle de vie
Pour aller plus loin
Publications scientifiques
Article dans une revue
Charlotte Roux, Patrick Schalbart, Bruno Peuportier Accounting for temporal variation of electricity production and consumption in the LCA of an energy-efficient house
Journal of Cleaner Production, 2016, 113, pp.532-540. ⟨10.1016/j.jclepro.2015.11.052⟩
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Article dans une revue
Charlotte Roux, Patrick Schalbart, Edi Assoumou, Bruno Peuportier Integrating climate change and energy mix scenarios in LCA of buildings and districts
Applied Energy, 2016, 184, pp. 619-629. ⟨10.1016/j.apenergy.2016.10.043⟩
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Chercheurs
Bruno Peuportier
Directeur de recherche
MINES ParisTech
CES
Patrick Schalbart
Ingénieur de recherche
MINES ParisTech
CES
Outil
Ce logiciel d’analyse du cycle de vie des projets de quartier, évalue les impacts environnementaux depuis la fabrication des matériaux jusqu’à la fin de vie.
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Projet d'éco-quartier de VINCI
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