Quand le bâtiment bioclimatique crée un dialogue fructueux entre ingénieurs et architectes

Conciliant efficacité énergétique, performance environnementale et confort d’usage, les bâtiments conçus selon l’approche bioclimatique répondent de manière optimale aux enjeux climatiques, permettant de réduire à moindre coût leurs impacts environnementaux. Puisant leur vertu dans une intégration contextuelle optimisée, leur conception frugale exige une approche multidisciplinaire rigoureuse, associant architectes et ingénieurs de manière précoce dans la chronologie des projets. Cette méthode est mise en pratique au sein de la formation « Post Carbone », créée par l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris Est en partenariat avec l’École des Ponts ParisTech.

Le fait est désormais bien connu : le bâtiment représente 40% des consommations d’énergie et des émissions de CO2 au niveau mondial. On comprend alors que chaque effort accompli en faveur d’une filière sobre en énergie et en carbone peut avoir un impact potentiel majeur. A cet effet, les plus vertueux des bâtiments sont probablement les bâtiments bioclimatiques. Mais comment les définir ? Il s’agit de bâtiments dont l’implantation et la conception prennent en compte le climat et l’environnement immédiat, afin de réduire les besoins en énergie pour le chauffage, le refroidissement et l’éclairage, tout en assurant un confort d’usage adéquat.

Une approche contextuelle et environnementale

Mais comment les leviers de l’architecture bioclimatique peuvent-ils être activés pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments à moindre coût ? Le projet intégré à la formation postgraduate POCA (pour « Post-Carbone »), créé par l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris Est en association avec l’École des Ponts ParisTech, permet de le comprendre et de l’expérimenter (voir ici la conférence donnée sur le sujet, et le support de présentation de la conférence). Il s’agit de concevoir une station de mesures environnementales dans un site choisi par les étudiants. Après une analyse du climat, des conditions météorologiques et des variations du rayonnement solaire locales, les étudiants implantent  tout d’abord le bâtiment pour tirer le meilleur parti du contexte. Puis il s’agit de définir des principes structurels, de façade (position des ouvertures, protection solaire, isolation thermique…), de ventilation et de chauffage. « A chaque fois, il leur faut trouver les modes constructifs, les matériaux et les sources d’énergie les mieux adaptés au contexte local (disponibilité, approvisionnement, savoir-faire) », détaille Joan Gaudin, architecte, enseignant à l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris Est.

Des choix éclairés pour une meilleure performance énergétique et environnementale

Au cours de ce travail collectif, les étudiants sont amenés à se poser de nombreuses questions d’ordre bioclimatique :  « Où positionner les différents espaces – espaces de vie, de travail, chambres – pour optimiser le confort de chacun des usages : sur la façade sud, nord, au rez-de-chaussée ou au premier étage ? », ou bien : « comment se protéger de la chaleur l’été sans trop réduire les apports solaires dans le bâtiment l’hiver : en changeant de vitrage, en intégrant des casquettes au-dessus des ouvertures ou en créant des masques occultants ? ». Les réponses à ces questions leur sont données par des outils numériques. « Les étudiants peuvent faire des choix optimaux sur la base de simulations qui leur permettent de mesurer l’influence d’une décision sur les performances du bâtiment au regard de ses usages », explique Bruno Peuportier, directeur de recherche au Centre Efficacité Énergétique des Systèmes (CES) de l’École des Mines de Paris.

Enfin, pour doubler la performance énergétique d’une performance environnementale plus globale, les étudiants valident leurs options en les intégrant dans une analyse de cycle de vie (ACV).  « A chacune des étapes de conception, l’impact carbone des choix est mesuré, et ce, sur la totalité du cycle de vie du bâtiment, y compris les phases de rénovation ultérieures et la déconstruction en fin de vie», illustre Marc de Fouquet, architecte et enseignant à l’ENSA Nancy.

Une conception multidisciplinaire et précoce des projets

On le perçoit : les fils conducteurs du travail mené par les étudiants sont ceux de la sobriété et de la frugalité. Mais l’objectif final reste bien la réduction des impacts environnementaux du bâtiment pendant les phases de construction et d’utilisation. « Dans ce projet d’études, et plus largement dans tous les projets de bâtiments bioclimatiques, c’est en suivant une démarche rigoureuse d’analyse qualitative et quantitative tout au long de la conception que cet objectif peut être atteint », poursuit Marc de Fouquet. L’atteinte de cet objectif suppose aussi une modification de la chronologie du projet. « Pour certains sujets, comme le choix du système structurel, cela nécessite de faire des choix le plus en amont possible dans la conception, pour d’autres – le dimensionnement des protections solaires fixes par exemple – il faut au contraire garder une certaine flexibilité, parfois jusqu’aux études menées pendant le chantier ». Dans tous les cas , il s’agit pour les concepteurs, à savoir les architectes et les ingénieurs, de travailler de concert, dès la genèse du projet. « Cette approche multidisciplinaire est l’un des leviers les plus importants pour répondre aux enjeux d’efficacité énergétique et de sobriété environnementale », assure Joan Gaudin. S’il peut sembler que cette approche est largement partagée, ce n’est pas forcément le cas. « Elle nécessite une montée en compétence en matière d’ingénierie énergétique et environnementale de toute la filière de la conception, et notamment des architectes », estime pour sa part Bruno Peuportier.

Nourrir le dialogue entre ingénieurs et architectes : une nécessité

Cette acculturation est l’une des raisons d’être de la formation POCA, et en particulier de son module consacré au bâtiment bioclimatique, qu’animent notamment Bruno Peuportier, Joan Gaudin et Marc de Fouquet. Les élèves ingénieurs et des architectes diplômés y partagent des notions techniques d’écoconception. « Seize écoles nationales d’architecture sur les vingt existantes proposent des enseignements intégrant la notion de bioclimatique. Mais la spécificité de notre formation tient dans le fait qu’elle mêle élèves-ingénieurs et architectes, détaille Marc de Fouquet. Un dialogue s’instaure, et celui-ci est d’autant plus fructueux qu’il se nourrit d’outils communs mis à la disposition des étudiants et des professionnels  ».

Des outils pour valider les intuitions

Ces outils, intégrés à la suite logicielle Pléiades, comprennent des modules de calcul développés par les chercheurs du CES avec le soutien du Lab Recherche Environnement VINCI ParisTech. Ces modules sont dédiés à la conception bioclimatique, à l’analyse du confort thermique et lumineux, à l’aéraulique et à l’analyse de cycle de vie. « Le métier d’architecte étant encore aujourd’hui principalement orienté vers une conception empirique, sensible et esthétique des ouvrages, ces outils permettent de vérifier que l’intuition du praticien est corroborée ou non pas les simulations numériques. Le cas échéant, un travail itératif permet de tester des variantes jusqu’à l’obtention d’une solution énergétiquement et environnementalement performante, au-delà du minimum réglementaire afin de répondre véritablement aux enjeux planétaires en termes de climat, de santé, de biodiversité et de ressources.» conclut Bruno Peuportier.

Pour aller plus loin
Chercheur
Bruno Peuportier
Directeur de recherche
MINES ParisTech
CES
Projet d'éco-quartier de VINCI
Fill 14
L'analyse du cycle de vie permet d’évaluer les impacts environnementaux des bâtiments et des infrastructures tout au long de leur cycle de vie, de l'extraction des matières premières à leur traitement en fin de
En savoir plus
Panneaux solaires sur la façade d'un bâtiment de bureaux
Les bâtiments peuvent être conçus et exploités afin d’améliorer de manière radicale leur efficacité énergétique et réduire leurs impacts sur l’environnement.
En savoir plus