Économie circulaire : un nouvel indicateur pour mesurer la valeur d’usage des matériaux dans le temps
Chaque année, le secteur de la construction mobilise près de 50 % des ressources naturelles extraites dans le monde. Cette dépendance massive à ces matériaux primaires n’est pas soutenable à long terme. C’est pourquoi les modèles de production et de consommation fondés sur la séquence linéaire « extraire, fabriquer, consommer, jeter » doivent progressivement être remplacés par les modèles de circularité, fondés sur le principe des « 3 R » – pour réduire, réemployer, recycler.
Évaluer la circularité des matériaux de la « mine urbaine »
Cette économie circulaire invite ainsi à valoriser les matériaux déjà présents dans nos bâtiments et nos infrastructures : en exploitant le gisement secondaire offert par ces véritables « mines urbaines », il est possible de limiter les impacts environnementaux et de structurer de nouvelles filières. Mais si l’on sait relativement bien mesurer les volumes mis en œuvre ou les flux de déchets générés, il est en revanche plus complexe d’évaluer précisément le caractère circulaire d’un matériau ou d’un produit : à quel point celui-ci est-il susceptible d’être réemployé, recyclé, ou valorisé sans perte de qualité, au fil du temps ?
Un indicateur qui traduit la qualité de la valorisation
C’est précisément à cette question qu’a voulu répondre Ambroise Lachat, ancien doctorant au laboratoire Navier de l’École nationale des ponts et chaussées, auteur d’une thèse financée par le lab recherche environnement. Initialement centrée sur le réemploi des structures en béton, la recherche a abouti à une modélisation plus générale du devenir des matériaux dans la construction.
Deux indicateurs ont été élaborés : l’un évalue le potentiel de réemploi, l’autre modélise la circularité sur plusieurs cycles de vie. Pour concevoir ce second outil, Ambroise Lachat est parti d’une question simple mais structurante : « Un matériau est-il réellement circulaire s’il ne peut être réutilisé qu’une seule fois ? ». « La plupart des indicateurs de circularité existants ne prennent en compte ni la qualité des usages successifs, ni la dégradation progressive de la matière, explique Ambroise Lachat. Or, une économie véritablement circulaire vise à prolonger l’usage des ressources sur plusieurs cycles, en limitant autant que possible leur perte de qualité ». Pour dépasser ces limites, l’indicateur de circularité développé dans sa thèse repose sur deux innovations majeures : il prend en compte la qualité de la valorisation et s’intéresse à la trajectoire de la matière sur plusieurs cycles de vie.
Une note synthétique de 0 à 1 traduisant la potentialité de la valorisation
Le cœur méthodologique de l’indicateur repose sur une modélisation « en arbre » : pour chaque matériau, différents scénarios de fin de vie sont envisagés (réemploi, recyclage, décharge…), sur plusieurs cycles successifs. À chaque branche de cet arbre sont associés deux éléments : un coefficient de qualité (qui reflète la perte ou la préservation de la valeur d’usage du matériau) et une probabilité d’occurrence. Le résultat est une note synthétique, comprise entre 0 (matière non circulaire) et 1 (matière parfaitement circulaire). Cette démarche peut être illustrée à partir de l’exemple d’une fenêtre, déposée lors d’une réhabilitation. « Si elle peut être conservée intacte et réemployée plusieurs fois pour le même usage son indice de circularité approchera 1, illustre Ambroise Lachat. Mais si la probabilité est forte qu’elle soit envoyée en décharge du fait de l’absence d’une filière structurée de réemploi, sa note chutera fortement ». L’indicateur reflète ainsi à la fois la qualité des valorisations envisagées et leur probabilité réelle. Cette double évaluation est d’ailleurs l’une des vraies nouveautés de la démarche. « Elle permet de mieux refléter les réalités du terrain : par exemple, le fait qu’un matériau puisse être théoriquement réemployé mais que, dans les faits, il le soit rarement en raison d’obstacles techniques ou réglementaires ».
Une expérimentation grandeur nature avec Ogêo
Pour valider l’outil dans un contexte opérationnel concret, VINCI Construction a mené une expérimentation à partir de la gamme de granulats recyclés et mixtes Ogêo. Ces matériaux, issus d’un mélange de ressources primaires et secondaires, sont produits selon des dosages ajustés aux exigences techniques de chaque usage. « Ogêo rompt avec la logique maximaliste du « 100% granulats neufs » pour les projets exigeants et du « 100% recyclé » pour les clients vertueux ! Nous optimisons au contraire l’emploi de chaque ressource pour garantir la bonne performance au juste impact environnemental », précise Ivan Drouadaine, directeur technique et recherche de VINCI Construction.
L’expérimentation a consisté à modéliser trois cycles de vie successifs pour plusieurs classes de granulats (haute performance, courants, et matériaux de remblais), issus d’une carrière située en Centre-Ouest. Grâce à une méthodologie nourrie par les données – volumes, ratios de pertes, de déclassement… – consolidées par les opérationnels, une suite récurrente de l’indice de circularité a pu être calculée. Résultat : un granulat Ogêo bien conçu atteint un indice de circularité de 0,75, quand des approches linéaires – des mélanges 100 % recyclé ou 100 % neuf – plafonnent entre 0,2 et 0,5. Autrement dit, la solution Ogêo permet une meilleure préservation de la valeur d’usage de la matière dans le temps. Elle autorise des applications à plus haute valeur ajoutée sur plusieurs cycles de vie, là où d’autres produits recyclés subissent un déclassement plus rapide.
Objectiver les bénéfices de la circularité
« On voit ici tout l’intérêt d’un indicateur de circularité : il permet d’objectiver les bénéfices d’une stratégie de préservation de la valeur de la matière dans le temps », analyse Ivan Drouadaine. En cela, il est totalement complémentaire de l’analyse du cycle de vie dans l’évaluation des impacts environnementaux (ACV). « Dans le cas des granulats, c’est souvent la qualité d’usage et la logique de déclassement progressif qui fait la différence. En évitant les pertes de performance trop rapides, on limite aussi le recours à la ressource primaire », conclut-il.
L’expérimentation menée avec la gamme Ogêo a permis de confirmer l’intérêt opérationnel de cet indicateur. D’autres sociétés du groupe, comme VINCI Energies, envisagent de l’utiliser pour mener des études sur la circularité des composants des lots techniques du bâtiment. Il pourrait également être partagé plus largement dans une approche sectorielle, pour faire progresser le recyclage et le réemploi dans la construction, mais aussi accompagner les industriels dans leurs démarches d’écoconception. Une perspective qui s’inscrit pleinement dans la vocation du lab recherche environnement de mettre à disposition et diffuser les outils issus de ses travaux.
Ogêo : Un granulat local et sur mesure
Ogêo est un produit formulé à base de ressources primaires (granulats de carrières) et de ressources secondaires (matériaux issus de déconstructions, d’excavations de chantiers, d’industries … pour lesquels Ogêo offre une seconde vie). La répartition des parts de ressources primaires et secondaires se fait au cas par cas, en fonction des besoins techniques et esthétiques de chaque client et de chaque projet. Les produits Ogêo intègrent donc, dans leurs formulations, une part de ressources secondaires sans induire de changement d’habitudes ou de processus pour les clients.