7 mai 2025

Decarbonation as a service : le transport de fret décarboné sur autoroute à l’épreuve du réel

Face à l’urgence climatique, le transport de marchandises par la route – massivement dominant – doit impérativement se décarboner. Pour y contribuer, VINCI Autoroutes a mandaté une équipe de recherche pilotée par l’Ecole nationale des ponts et chaussées et l’Université Gustave Eiffel afin d’évaluer la faisabilité d’un service innovant fondé sur le principe de « Decarbonation as a service ». Par analogie avec le transport combiné rail-route, cette prestation de service proposerait aux transporteurs d’acheminer d’un point A à un point B du réseau autoroutier leurs remorques via des camions à faibles émissions carbone. Ce système repose sur une équation économique complexe, dont les chercheurs viennent de livrer les résultats. L’étude ouvre désormais la voie à une décision politique et collective.

Le transport de marchandises, tous modes confondus, est responsable d’environ 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES). En France, cette activité repose très largement sur la route, qui assure aujourd’hui 88 % du fret. Cette part modale, déjà dominante, devrait rester largement prépondérante à moyen terme – malgré les ambitions de report vers le rail – et ce, alors que les volumes transportés devraient continuer d’augmenter. 

« Compte tenu de ces éléments objectifs, on comprend bien que décarboner le transport de marchandises revient à devoir décarboner le fret routier, résume Christophe Hug, Directeur général adjoint en charge de la maîtrise d’ouvrage chez VINCI Autoroutes. Et c’est sur les autoroutes, où le transport de fret représente 15 % du trafic mais près de la moitié des émissions de GES, qu’il est prioritaire d’agir. » 

 

Face au développement trop lent des alternatives au moteur à combustion…

En tant que gestionnaire d’un réseau couvrant environ 50 % des autoroutes concédées en France, VINCI Autoroutes cherche à contribuer à cet effort. Une évidence s’impose : malgré l’arrivée de technologies alternatives – camions électriques, à hydrogène ou au biogaz –, le passage à l’acte reste limité. « Ces solutions, appliquées directement aux flottes des transporteurs, peinent encore à trouver leur équilibre économique sur longue distance », reconnaît Christophe Hug. 

 

…un service de transport combiné décarboné sur autoroute !  

Pour trouver une alternative, VINCI Autoroutes a décidé de mener une analyse socio-économique sur une solution innovante de Decarbonation as a service (DAAS) pour le transport routier de marchandises. « Par analogie avec le transport combiné rail-route, il s’agit d’une prestation de service proposant aux transporteurs d’acheminer leurs marchandises sur des camions propres d’un point A à un point B du réseau autoroutier », synthétise Christophe Hug. Mais comment ce service fonctionne-t-il ? Il suit les étapes schématiques suivantes : le camion articulé thermique du transporteur arrive sur une plateforme dédiée connectée à l’autoroute.

Sa semi-remorque est dételée, puis attelée à un tracteur à technologie propre – électrique, biogaz ou à hydrogène. Cet attelage décarboné emprunte alors l’autoroute jusqu’à un point de sortie du réseau autoroutier. Là, la semi-remorque est alors à nouveau prise en charge par le transporteur. « A la différence des transports intermodaux «  rail-route », ce service ne suppose pas de massification des flux. Il offre une souplesse d’utilisation compatible avec les habitudes des transporteurs et des logisticiens », commente Christophe Hug.

 

Une équation économique complexe à résoudre 

Si le principe de fonctionnement du DAAS appliqué au transport routier de marchandise est relativement simple à comprendre, ses conditions de mise en œuvre et de rentabilité relèvent d’une équation économique complexe, dans laquelle interviennent une multitude de paramètres : choix technologiques, coûts d’infrastructure, rythme de rotation, organisation du travail, fiscalité…

C’est pourquoi VINCI Autoroutes a fait appel au Lab Recherche Environnement pour mener une analyse socio-économique complète sur le sujet.  

 

Trois scénarios, six alternatives : quelle viabilité pour le transport combiné décarboné ? 

« Pour tester la faisabilité de ce service, nous avons croisé trois scénarios de politique publique avec six alternatives technologiques de motorisation, explique François Combes, co-directeur du département AME (Aménagement, mobilités et environnement) de l’Université Gustave Eiffel, et pilote de l’étude. Un scénario correspond aux règles du jeu – c’est-à-dire au cadre institutionnel, fiscal et réglementaire dans lequel opère le service – tandis qu’une alternative désigne un choix technologique ». Les six alternatives étudiées couvrent l’ensemble des motorisations “propres” envisageables : motorisations biogaz, hydrogène, électrique à batteries (avec recharge lente ou rapide) et camions alimentés via une chaussée intégrant un système de rechargement dynamique par induction (ERS, pour Electric Road System), couvrant partiellement ou en totalité l’infrastructure.

Scénario 1 : le marché seul… ou presque 

Dans le premier scénario : aucun financement public n’intervient. Le service doit être économiquement viable pour l’opérateur, sans soutien extérieur. Verdict ? « En l’absence totale d’aide, il n’y a pratiquement aucune configuration rentable, tranche François Combes. Seul le biogaz s’approche d’un équilibre, mais pour le reste, impossible de proposer un prix attractif face au diesel. » 

Scénario 2 : la puissance publique s’engage 

Le deuxième scénario repose sur une implication forte de l’État, qui financerait le service dans une logique de politique climatique. Le modèle devient alors plus prometteur, mais exige un usage raisonné des deniers publics. « Nous avons étudié les coûts d’abattement, c’est-à-dire combien il faudrait investir pour éviter l’émission d’une tonne de CO₂. Le biogaz ressort en tête, mais les technologies électriques émergent également », analyse le chercheur.  

Scénario 3 : une subvention au kilomètre parcouru 

Le dernier scénario propose une voie plus pragmatique : une subvention publique au kilomètre pour chaque remorque transportée via la navette décarbonée. Moins complexe à mettre en œuvre, ce mécanisme impliquerait tout de même un pilotage public du prix et une régulation adaptée. « Cela pourrait fonctionner sur le modèle d’un appel à manifestation d’intérêt, avec un barème transparent, mais cela supposerait une volonté claire de l’État d’inciter à ces pratiques », résume François Combes. 

 

Le scénario 2 a la préférence de VINCI Autoroutes. « Ce cas de figure, dans lequel la puissance publique accompagne le déploiement d’un service de navette décarbonée, nous semble aujourd’hui le plus réaliste et le plus pertinent, estime Louis Du Pasquier, Directeur des mobilités décarbonées chez VINCI Autoroutes. Et dans ce cadre, nous misons sur deux solutions technologiques en particulier : la recharge rapide pour les poids lourds électriques, et l’ERS, qui permettrait d’alimenter les véhicules en roulant. » Mais l’exploitant d’infrastructures ne pourrait pas agir seul : « Le lancement d’un tel service dépendrait d’une décision collégiale entre tous les acteurs de l’écosystème : État, transporteurs, chargeurs, opérateurs, … ».

 

Repenser les pratiques logistiques 

Au-delà des chiffres, les chercheurs soulignent les défis d’intégration du service dans les chaînes logistiques réelles. « C’est un peu comme du covoiturage pour marchandises, illustre François Combes. Le moindre aléa peut désynchroniser tout le système ». Mais pour les transporteurs, la promesse est réelle. « Tous ceux que nous rencontrons sont très intéressés, confie Louis Du Pasquier. Ce service pourrait en effet résoudre l’une de leurs difficultés majeures en termes d’organisation du travail : il permettrait une meilleure régularité des trajets et une optimisation des temps de conduite et de repos, conformément à la réglementation européenne. Par ailleurs, les véhicules électriques offrent des conditions de conduite sensiblement améliorées : réduction du bruit, diminution des vibrations et confort accru, autant d’éléments favorables à l’attractivité du métier de chauffeur poids lourd. »

 

De l’étude à l’action collective 

Alors que l’Union européenne durcit progressivement ses exigences – extension du marché carbone au secteur routier, obligations de reporting extra-financier, règlement sur les infrastructures de recharge – et que les acteurs industriels amorcent leurs transitions, les conditions semblent réunies pour que l’expérimentation trouve un prolongement opérationnel. VINCI Autoroutes se tient prêt à accompagner cette dynamique, aux côtés des transporteurs, des collectivités et de l’État. Le déploiement d’un corridor décarboné pourrait en être le premier jalon concret. Dans le sillage de l’étude, VINCI Autoroutes a d’ailleurs déjà engagé de premiers projets : l’exploitant autoroutier construit actuellement un tronçon de 1,5 km d’autoroute électrique sur l’autoroute A10 près de Saint-Arnoult (Yvelines) dans le cadre du programme « Charge as you drive », pour tester le système ERS.  Reste désormais à transformer l’essai.

 

Pour en savoir

Retrouvez le replay de la conférence ici : Conférence – camions et routes électriques vers un duo gagnant

 

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